Neïla ☆ Le reflet du miroir.

Elle court dans le jardin familial, ses cheveux bruns volant dans tous les sens. Le rire enfantin et innocent qui raisonne, alors que la petite Neïla tente de courir derrière son grand-frère. Elle n’a pas encore deux ans, aussi, elle n’est pas tout à fait stable encore sur ses deux petites jambes potelées. Et les trous irréguliers ayant pris racines à l’intérieur de l’herbe fraiche sur ses jambes, donnant au terrain un air abandonné, ne l’aident pas à garder un équilibre. Soudain, sa petite tête disparait. Se levant d’un mouvement vif, sa tante Clélia regarde la petite qui est tout simplement tombée. Mais Neïla rit aux éclats, tout comme Haelios qui a les mains sur les cuisses pour reprendre son souffle. Elle ne s’est pas fait mal, bien au contraire. « Lios … a’end moi ». S’avançant, le jeune-garçon de six ans attrape les mains de sa petite sœur pour l’aider à se relever. Il a encore du mal à comprendre qu’elle ne peut pas courir vu qu’elle ne marche que depuis quelques mois. Une fois que l’enfant est remise sur ses jambes, Haelios repart en courant, riant aux éclats de nouveau, suivit de loin par Neïla. Clélia tourne la tête vers son frère, après avoir repris place sur sa chaise. Lucian semble perdu dans ses pensées, comme à sa grande habitude. « Lucian, tu comptes lui dire un jour à Neïla ? Je veux dire, que Malia est décédée et non partie, comme tu l’as dit à Haelios, avant qu'il ne comprenne le sens des mots ? » Cela fait sortir de sa transe le père de famille. Se tournant vers sa cadette, il la fusille du regard, avant de se lever et de pointer son index dans sa direction. « Ne me parle plus jamais de ma femme. Je ne veux plus entendre son nom tu m’entends ! Haelios, Neïla, on rentre, c'est l'heure de goûter ! » Et sans un mot, le père de famille tourne les talons une fois ses enfants auprès de lui. Clélia reste dehors un petit moment, en soupirant. Malia est décédée c’est vrai mais ce n’est pas une raison pour vouloir faire comme si elle n’avait pas existé … Mais Clélia respectera le choix de son frère. Rangeant les chaises, elle finit par rentrer, et reprend un autre sujet de conversation avec Lucian, comme si de rien n’était.

En grandissant, l’enfant voit bien que quelque chose n’est pas pareil. Quand elle sort de l’école, c’est toujours sa tante qui vient la chercher. Jamais son père ou sa mère, comme pour ses copines. Alors bien sûr, Neïla commence à s’en inquiéter. Elle ne voulait pas voir les choses au départ, pensant que c’était normal. Mais le pire, c’est sûrement le jour où elle rentre de l’école, avec un arbre généalogique à faire en devoirs. Alors comme à sa grande habitude, elle pique une pomme pour goûter, et s’installe à table pour commencer ses devoirs. Quand Lucian rentre, la petite le regarde, souriante. « Papa, j’ai du travail. Il faut que tu m’aides. » Lui montrant la feuille qu’elle a commencé, elle lui montre qu’elle a réussi à dessiner toute sa famille paternelle. Mais du côté de sa mère, il n’y a rien. Absolument rien. Pas même un dessin de Malia, étant donné qu’il n’y a aucune photo dans la maison. Comme si elle n’avait jamais existé. « Tu peux m’aider ? » Son père entre dans une colère noire. Il hurle que c’est hors de question, avant de partir s’enfermer dans sa chambre. Neïla sent les larmes qui viennent perler aux bords de ses paupières et c’est ainsi que la trouve Haelios, quelques minutes plus tard. Aussitôt, il lui demande ce qui se passe, avant de comprendre … Soupirant, il prend sa petite sœur dans ses bras, son cœur secoué de sanglots, lui caressant tendrement les cheveux. « On ne doit pas parler de maman, Neï … Papa ne veut pas et tu le sais. »

Sauf que trois semaines plus tard, Neïla a eu le temps de réfléchir, alors que son père se murait encore dans un silence sans fin. Et elle est décidée à savoir qui est sa mère et pourquoi on ne doit pas parler d’elle. Alors elle attend le jour de son anniversaire, de ses 12 ans. Toute sa famille sera réunie. Enfilant la robe que Clélia lui a offerte, Neïla descend et embrasse toute sa famille, contente de les voir. Mais alors que sa tante va chercher le gâteau, Neïla annonce qu’elle a une question. Bien sûr, tout le monde l’encourage à continuer, ne se doutant pas de la pagaille que cela va mettre deux minutes plus tard. « Pourquoi il ne faut jamais parler de maman ? Je suis une grande fille maintenant, je peux savoir ! » Lucian se lève brusquement, renversant au passage son verre de vin. Une tâche rouge carmin se dessinant sur la nappe blanche. « Je te l’ai déjà dit cent fois Neïla que je ne voulais pas en entendre parler ! Ta mère est morte fais-toi une raison ! Et ne prononcez plus son nom ! » Quittant violemment la table, il est rapidement suivi par Neïla qui va s’enfermer dans sa chambre. Haelios la rejoint et la prend dans ses bras pour la réconforter. « Chut Neïla …chut … »

Depuis cet anniversaire, jamais Neïla n’a osé reparler de sa mère, malgré les nombreuses questions qui peuvent lui brûler les lèvres. Elle ne veut pas risquer d’énerver plus son père. Mais même si elle ne reparle pas de ce sujet tabou, il n’empêche qu’elle reste en conflit avec son père. Elle veut pouvoir sortir avec ses amis le week-end. Mais lui refuse catégoriquement à chaque fois, tout ça parce qu’il faut qu’elle soit la première de la classe. Sauf que ça n’intéresse pas Neïla. Elle, elle veut dessiner. Mais quand elle a le malheur de parler de ça à son père, il hurle que ce n’est pas un travail, contrairement à médecin ou avocat.
Alors un jour, alors qu’elle n’est pas loin de fêter ses 16 ans, elle vient de nouveau de s’énerver contre son père car elle lui a dit qu’elle ne voulait pas faire de grandes études. Aussi, elle grimpe les escaliers rapidement et pousse la porte de la chambre de son frère, en hurlant sa colère. « Mais pour qui il se prend ! Je ne veux pas faire de grandes études ! Je ne veux pas être avocate ou médecin ou même banquière ! Je veux vivre d’un métier où l’on dessine ! Qu’est-ce qu’il ne comprend pas dans ça ! » Haelios pose son stylo et se tourne vers sa petite sœur, en soupirant. Elle se laisse tomber sur le lit de son grand-frère et ce dernier va la rejoindre. Comme à leur habitude, il regarde le plafond, leur tête posée l’une contre l’autre. « Neï … Tu sais qu’il ne veut que le mieux pour toi. Que tu sois heureuse et que tu es un avenir stable. Il … On ne doit pas en parler, mais tu sais qu’il est comme ça depuis que maman … que c’est arrivé. Alors essaye de travailler à l’école … » C’est trop pour Neïla qui se relève et fixe durement son frère. « Tu prends toujours sa défense de toute manière. Et ce n’est pas en faisant comme si maman n’avait pas existé, que ça l’effacera de nos vies. » Et elle sort en claquant la porte.

Malgré tout, elle essaye de ne pas rentrer en conflit avec son père, voyant bien qu’Haelios en souffre même s’il ne dit rien. Pourtant, quand arrive sa majorité, Neïla va dans un salon de tatouages. Elle a mis ses économies de côté. Alors elle pousse la porte d’un pas décidé. Elle a fait le dessin elle-même, et aujourd’hui, c’est le jour J. Saluant la tatoueuse, elle prend place sur la table. Vérifiant tout le matériel, Neïla écoute avec attention la femme. Puis tout commence. La douleur, ce n’est rien. Au bout d’une heure et demie, Neïla voit enfin, son premier tatouage. Une rose, pour sa maman. Remerciant la tatoueuse mille fois, elle lui demande comment il faut faire. C’est ce métier qu’elle veut faire. Quand elle rentre le soir, elle montre l’œuvre à son frère qui est heureux pour elle. Mais quand elle le montre à son père, là, c’est une autre histoire. Il hurle que c’est mal, qu’ainsi elle ne trouvera jamais de travail. Et c’est la goutte de trop pour Neïla, qui tourne les talons et fait un sac. Elle va frapper chez une de ses amies pour la nuit. Et elle commence à se chercher un appartement.

Deux ans plus tard, les choses sont toujours compliquées avec son père. Elle a refait des tatouages, même si quand elle va le voir, elle lui cache. Son frère est au courant mais c’est bien le seul de la famille. D’ailleurs, son père a eu beaucoup de mal à accepter que Neïla travaille en tant que tatoueuse. Pourtant, elle a trouvé sa voie, il devrait en être heureux. Mais non ! Et ça l’énerve, même si elle ne dit rien. Mais elle ne compte pas changer, même si du coup, c’est compliqué pendant les repas de famille, car Neïla a vraiment l’impression d’être le vilain petit canard de la famille. Mais elle fait avec, elle n’a pas le choix.

Les choses ne s’arrangent pas avec son père, mais n’empirent pas non plus, c’est déjà ça. Tatouant toujours malgré que sa tante lui ait demandé de changer de métier, Neïla s’épanouie dans sa vie professionnelle. Niveau cœur, c’est un peu plus compliqué. Elle est amoureuse depuis environ un an avec Steve. Sauf qu’elle a des vues sur une des amies et collègues de travail de son copain. Autant dire que c’est compliqué à gérer, même si elle ne dit rien. Même à Haelios elle ne veut pas en parler. Les choses seraient bien trop compliquées après, avec sa famille. Surtout que Steve n’arrête pas de lui dire qu’il veut avoir des enfants, construire un avenir ensemble. Mais dans le fond, Neïla n’est pas prête à ça. Bien sûr, elle l’aime mais … il y a quelque chose qui l’attire vers cette fille.

Le temps passe, et Neïla a de plus en plus de mal à faire taire cette attirance. Mais les choses dégénèrent lors d’une soirée, peu de temps après les 26 ans de Neïla. Ils sont dans l’appartement, à faire une petite soirée entre amis. L’alcool à flot et prit dans un élan inconnu mais impulsif, comme souvent, Neïla tente d’embrasser cette fameuse femme, avant de se reprendre en s’excusant. Cette dernière la repousse violemment, à deux doigts de la gifler. Honteuse, Neïla quitte son appartement sans prévenir Steve, et va vers le seul endroit qu’elle pense être son refuge : sa chambre d’enfant. Heureusement, son père ne demande rien. Le lendemain, après une bonne nuit blanche, Neïla est décidée à aller expliquer tout à Steve. Rentrant dans leur appartement, elle se retrouve figer sur place. Steve et sa collègue, dans le même lit. La colère la prend, alors que son cœur se brise. Elle prend leurs affaires et les met à la porte, tous les deux. Puis elle s’écroule, en pleurs.

Les mois ont passé et Neïla s’est remise de sa rupture avec Steve. Enfin … pas totalement. Mais son travail et son chien, l’aident à oublier la douleur qui ravage son cœur. Surtout que cette tentation de baiser lui a fait comprendre qu’elle allait être encore plus mal vue par sa famille. Alors elle ne dit rien, même si lancer la vérité à chaque repas lui brûle les lèvres.