"Le silence des chats est contagieux"

Il est en train de se déhancher sur son canapé, tenant la télécommande comme s'il s'agissait d'un micro. Sergei n'a pas honte, il s'en fout. Il se fiche qu'on le juge de faire l'enfant parce qu'il fait rire et sourire cette petite fille qui l'imite comme s'ils étaient dans un concert de Beyoncé. Cette petite  famille, c'est Indira. Mais tout le monde l'appelle Indi ou India, suivant qui lui parle. Pour papa, c'est Poupée, ma puce, ma chérie, le monstre, Al Capone. Et plein d'autres encore. Son papa, elle l'aime, elle l'adore. Elle n'aime pas trop être séparée de lui. C'est toujours une épreuve de partir à l'école mais elle est tellement folle de joie de le retrouver le soir. Papa, il a toujours une barre de chocolat dans les poches, suffit de fouiller un peu. Ce qu'elle adore, c'est quand elle est malade. Parce que comme ça, papa il l'emmène au travail, il prend soin d'elle. Et elle participe aux travaux des appartements que papa rénove puis revend. Indira, elle a six ans et elle a pas de maman. Parfois, elle regarde les mamans de ses copines. Elle les envie sur le moment mais très vite, elle oublie parce qu'elle soit son papa. Son papa il est formidable, c'est son héros. Sergeï, il fait de son mieux, il est pas forcément le plus doué. Il est surtout super stressé. Jamais Sergeï n'aurait pensé être papa un jour. Jamais. En fait, Indira n'était pas prévue. Sergeï c'est le beau gosse, pas le queutard non mais il dit pas non à une belle femme. Sergeï il sait qui est la mère de Indira parce qu'elle s'est pas réellement cachée. Elle lui a dit, elle a même fait un test de paternité. Elle a pas réclamé d'argent ni rien. Rien de tout ça. Sergeï il est né à Belgrade et il a grandit à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine. Il a fait de belles études puis il a quitté le foyer familial pour aller se perdre à Seattle en tant que journaliste. Là bas il a connu les promotions, la facilité de mettre les femmes dans son lit et les fêtes des riches. Des femmes, il en a eu beaucoup mais il les a toujours respecté. Il a jamais rien promis. Pas même à la mère de sa fille. Mais quand elle a su qu'elle attendait un bébé, elle lui a dit. Il a décidé d'assumer, de loin. Sauf qu'il n'avait pas prévu qu'après sa naissance, elle abandonne la petite devant la porte de chez Sergeï. Et là, Sergeï il a compris qu'il allait devoir faire plus qu'assumer. Il allait devoir l'élever. La mère a foutu le camp sans laisser d'adresse ni rien. Elle n'avait même pas donner de prénom à la petite.

Dépassé, Sergeï a quitté Seattle expressément et est rentré à Sarajevo. Parce qu'il avait besoin de sa mère, de conseils. Sergeï est devenu un papa poule. Ses ressources étaient bien assez conséquentes pour les faire vivre pendant dix ans au moins tout en ayant un immense appartement. Sergeï a pris deux années pour lui, histoire d'être présent et d'éduquer la petite. Il ne voulait pas manquer ses premiers mots, ses premiers pas. De toute manière, plus rien ne comptait. Lui qui pensait ne pas avoir la fibre paternelle, il se trompe lourdement. Indira lui a fait avoir des crises de nerfs, de panique. Sergeï a lu tout un tas de livres, vécu des nuits blanches, essuyé un tonne et demi de caca liquide et nettoyer des litres vomi blanc, vert, orange. Il en a eu sur les doigts, le pull, le manteau, dans la voiture. Il a eu beaucoup de patience, énormément même. Il est constamment inquiet, pressé, perdu. Pourtant il aime son petit monstre. Elle son papa. Ils s'aiment et ils n'ont pas besoin d'une femme dans leur vie qui viendrait casser cette relation si parfaite entre eux. Depuis un an, Sergeï est revenu à Seattle. En Bosnie-Herzégovine, il s'est fait beaucoup d'argent. Au départ, il a acheté un appartement avec ses économies. Entre deux couches, trois biberons et du vomi, il a prit le temps de retaper l'appartement, plus luxueux. Puis, il l'a vendu à un riche serbe. Puis, avec cet argent, il a racheter un appartement et il a recommencé. Puis sont venues les maisons. L'immeuble entier. Aujourd'hui, en Bosnie-Herzégovine, Serbie, au Kosovo, il est propriétaire de plus de vingt appartements et maisons en location. Et à Seattle, il a fait pareil. Il a plein d'argent et il ne sait pas quoi en faire. Il les met de côté pour les études de sa fille, pour des voyages. Il travaille beaucoup, il s'occupe énormément de sa puce. Il a plus vraiment de temps pour lui même.