Skyler + Famous final scene

Je peux pas dire que je me souvienne de mon enfance. Je me souviens de rien avant d'avoir su patiner. Parfois, je me dis que c'est là que ma vie a commencé, c'est quand j'ai mis le pied sur la glace que je suis vraiment née, que le compte à rebour des années a démarré. J'ai chaussé mon premier patin à cinq ans. C'était ma grand-mère qui ne jurait que par ça. Je la revois encore aujourd'hui, elle, son manteau rose, sa longue robe... elle tournait, si aisément, si rapidement, dans mes yeux de petite fille, elle était un ange qui volait. J'ai voulu la rejoindre, et je me suis écrasée à plat vendre sur le sol gelé. J'ai pleuré, et quand elle m'a relevé avec son sourire tendre, mes larmes ont instantanément cessé de couler sur mes joues roses, comme si elle m'offrait un peu de sa légèreté d'esprit et de son calme imparable. J'ai replacé mon bonnet à pompons avant qu'elle ne m'accompagne sur la piste. Je tenais pas une seconde sans l'aide de sa main. Elle était mon support, ma béquille, ma colonne vertébrale. C'est peut-être ce qui a fait que j'ai tout de suite aimé patiner sur la glace. Cette harmonie que m'avait légué ma grand-mère à l'approche d'une patinoire, ce bonheur magique de se sentir glisser sur cette piste de liberté. Elle le ressentait, je l'ai ressenti à travers elle.
Aujourd'hui, la glace, c'est un rendez-vous avec elle. Une façon de communiquer avec celle qui m'a offert beaucoup de ce qu'elle était. Je sais pas pourquoi, je me suis toujours sentie plus proche de ma grand-mère que de mes parents ou quiconque dans ma famille. C'est sans doute parce que c'était elle qui nous gardait lorsqu'on était petits, jusqu'à ce qu'elle ne tombe malade et qu'elle ne disparaisse de nos vies pour rejoindre le ciel. Ma grand-mère, sa mémoire, c'est quelque chose de sacré pour moi.


J'ai grandi. L'amour de cette discipline s'est changé en pression et en exigence. C'est tout ce que je me sentais capable de faire. J'étais nulle en cours, nulle avec les gens, nulle avec ma famille. Mais le patinage, je maitrisais. J'étais pas la meilleure, j'étais pas la plus gracieuse ou la plus agile, mais j'étais douée, je savais ce que je faisais, et j'en donnais pour peu qu'on pouvait me voir. J'ai commencé avec les compétitions régionales, puis nationales, internationales aussi, mais je n'ai jamais pu atteindre une vraie carrière de patineuse reconnue comme certaines autres grandes. J'ai atteint une seule et unique fois les JO. Enfin, peu importe. Jusqu'à mes vingt ans, je n'ai connu que ça. Les entrainements intensifs, la compétition, les notes, les félicitations, encore et encore. Et toute les fois où je me suis plainte, toute les fois où j'ai crié, ou j'ai pleuré, j'ai pensé à ces moments, avec ma grand-mère, des moments de douceur où tout était facile et que je progressais le sourire aux lèvres.
C'est ma mère qui a tout fait pour encourager ma carrière. Elle m'a présentée à ma première entraineuse, elle a payé tout ce qu'il y avait à payer pour que je puisse m'envoler comme il se doit. On s'est pris la tête quelques fois, j'ai l'impression que c'était le bon temps. Quand elle me sermonnait parce que je commençais à envier la vie de certains adolescents qui n'avaient peut-être pas leur nom au tableau des champions nationaux de patinages, mais qui avaient des petits copains, qui pouvaient courir les soirées et faire des études... De toute manière, comme je ne cesse de le répéter, j'étais nulle en cours. Je détestais qu'on reprenne mes mille et mille fautes d'orthographe, et devoir étudier les maths... la seule chose encore rattrapable dans l'école, c'est la science et le sport. Franchement, tout le reste est à jeter.
Enfin, bref. J'ai zappé mon adolescence, mes études, et je me suis éloignée de ma famille. Mon frère est sans doute celui qui a su rester le plus proche même à travers les années. Même lorsque j'ai laissé comprendre à ma mère que je pouvais prendre mes charges seule, grâce à l'argent que je me faisais. Maman, papa, je les ais vu de moins en moins souvent. Mais je sais qu'ils étaient là, tout le temps, pas seulement à travers les divers coups de téléphone qu'ils me passaient. C'est surtout qu'ils étaient là, derrière moi, en soutien silencieux, la plupart du temps. Les quelques fois où les compétitions passaient à la télévision, en chaine spécial sport. Mon père était posté devant, ça c'est sûr, même s'il ne le dit pas, je le sais parce que ma soeur l'a trahi. Alors malgré toute ces années passées loin d'eux, ma famille, c'est une part sacrée de ma vie... et plus encore maintenant que le "rêve" est terminé.


Les bonnes choses ont une fin. C'est ce qu'on dit toujours. C'est ce que maman disait toujours. Mais elle ne l'a pas dit quand ma carrière s'est éteinte. En fait, elle n'a rien trouvé à dire. Elle a juste... pleuré pour moi. Parce que je n'étais pas en état de pleurer, je l'ai trop fais juste à la sortie de l'accident. J'ai pleuré jusqu'à ce qu'on m'amène à l'hôpital, jusqu'à ce qu'on m'opère. Et après, j'en étais incapable. Je me souviens du moment où le médecin m'a dit que j'allais devoir faire des efforts si je voulais utiliser à nouveau cette jambe. J'en ais fais. Je me suis donnée comme une folle pour être sure de pouvoir remonter sur la glace. Parce qu'à la limite, je m'en fichais à ce moment, de pouvoir marcher un jour ou pas. Je suis restée dans le silence quelques jours. Je pouvais plus rien donner, à personne, pas non plus à moi-même. J'étais tellement en colère... contre moi-même. D'avoir été stupide à ce point, et d'avoir conne à perdre autant en un claquement de doigts. Juste pour m'amuser. Je voulais sortir, avec des potes, boire de l'alcool, jeter l'argent par les fenêtres et danser toute la nuit... Sauf que le gars qui conduisait avait beaucoup trop bu pour nous faire tous rentrer sains et saufs. Perdre une jambe, vous me direz, c'est mieux que perdre la vie. Et encore cette jambe, elle n'était pas définitivement perdue. Juste en pause, avec besoin de repos permanent.
Je suis rentrée chez mes parents. Mon petit ami m'a plaquée, j'étais trop immature, trop gamine, apparement il s'en rendait à peine compte... la blague. C'était lui qui était dépassé de mode, c'est ce que je me dis maintenant. On m'a collé une floppée d'exercices à faire pour ma jambe, sans compter la rééducation chez le kiné... Il a fallu que je me reprenne, que j'envisage mon avenir en dehors de la seule chose que j'ai jamais espéré pour mon futur. Ma mère voulait que je reprenne mes études. Quelle drôle d'idée ! J'ai trainé, puis j'ai visé plus bas. Pendant deux mois, j'ai joué les caissières dans un supermarché. Je me suis fais chier, alors j'ai quitté. On m'a pris pour un poste de serveuse, maintenant que ma jambe va mieux. J'y suis depuis pas longtemps, comme on peut s'en douter, c'est pas le poste adéquat pour ma jambe. J'ai l'impression qu'elle va se casser à nouveau. J'ai beaucoup trop de mauvaises impressions. Beaucoup trop de colère en moi. Et même si je me comporte comme si j'étais seule, je sais que je ne le suis pas.