RER | Pourquoi ne voit-on jamais à la une des journaux: « Une voyante gagne au loto »?

« Pourquoi tu pleures Papa ? » La petite main d’une fillette de quatre ans se posa sur l’épaule d’un homme assis dans son canapé, dévasté, son visage entre ses mains. La faible lueur de la lumière allumée sur la table donnait une atmosphère pesante à la pièce. La tristesse et la peine de son père étaient lourdes, la petite Rebekah les ressentait, pourtant, elle ne pleurait pas elle, elle était sereine. Sans doute trop jeune pour réellement comprendre et mesurer tout le drame de la situation. Paul releva ses yeux embués vers sa fille unique et lui adressa, du mieux qu’il put, un sourire de circonstance. « Qu’est-ce que tu fais encore debout ma puce, il est tard, tu devrais dormir depuis longtemps. » Il balaya ses larmes d’un revers de la manche et déposa un baiser sur le front de la petite tête rousse. Rebekah était le portrait craché de sa mère. Une chevelure flamboyante, des yeux mutins et une frimousse espiègle. La petite Reynolds n’avait pas seulement hérité du physique de sa mère, elle lui avait également légué un don. Certains n’y croient pas et estiment qu’il ne s’agit là que de superstition débile ou de chance insolente de tomber sur la bonne supposition du premier coup. Caroline Reynolds était extralucide et hypersensible, elle avait des dons particuliers qui lui permettaient de ressentir les choses et d’être plus sensible et empathique que les gens ordinaires. Ses pressentiments sur les gens étaient toujours fondés, certains de ses rêves se réalisaient, et ses intuitions n’étaient jamais vaines. Médium, voyante, charlatan, sorcière, escroc, tout y passait et chacun avait son point de vue. Elle n’était qu’une voyante à la base mais avec le temps, elle avait fini par aider la police de la ville sur certaines enquêtes. Elle était sur une affaire actuellement, un cas bien difficile à démêler qui impliquait peut-être des policiers de la ville, mais cela faisait une semaine qu’elle avait disparu. Personne ne savait où elle était passée. Un soir après le travail et après avoir récupéré Rebekah à l’école, elle était ressortie en ville parce qu’elle avait oublié d’acheter des tomates pour le repas du soir. Elle n’était jamais rentrée. Personne ne l’avait vue et l’enquête sur sa disparition n’avançait pas. « Tu sais Papa, Maman va bien, elle est au ciel. » L’aplomb dont elle fit preuve et ses paroles figèrent Paul qui resta bouche bée. Il avait toujours eu des doutes et des craintes sur le fait que la petite ait le même don que sa mère, malgré la conviction de cette dernière que Rebekah était comme elle. Paul avait toujours refusé d’y croire mais ce soir c’était différent. Alors que ses espoirs de retrouver Caroline s’amenuisaient de jour en jour, les mots de sa fille sonnèrent comme une vérité inébranlable. Fondant en larmes, il serra sa princesse contre lui. Sentant le profond désarroi de son père, des larmes silencieuses perlèrent sur les joues de Rebekah, sans qu’elle ne comprenne réellement pourquoi.

« Bekah ! Tu viens gouter ? J’ai fait des cookies ma chérie ! » La fillette, assise sur un banc dans le jardin de sa grand-mère, serra son lapin en peluche contre elle. Cela faisait déjà deux ans que Caroline avait disparu. Des obsèques avaient été organisées l’année passée mais les forces de police n’avaient jamais retrouvé son corps malgré leurs recherches. Elle faisait partie de ces affaires non élucidées qui trainaient dans les papiers non classés de la police. Depuis que la petite avait réalisé qu’elle ne reverrait plus jamais sa mère, elle s’était refermée sur elle-même, ne parlant que très peu avec ses proches et pas du tout avec les étrangers. Elle pouvait paraitre comme une petite fille timide et réservée, alors qu’elle avait toujours été pleine de vie auparavant. Paul inquiet l’avait emmenée consulter un psychologue pour enfants mais il n’y avait pas grand-chose à faire. Il fallait la laisser faire son deuil et avec le temps, elle irait mieux. En attendant, Paul se retrouvant seul à élever sa fille, il devait la laisser souvent chez la grand-mère lorsqu’il travaillait. Il n’avait aucune envie de la laisser avec une nounou qu’il ne connaissait pas, mieux valait privilégier la famille. D’autant plus que la vieille dame était adorable et qu’en plus, la fillette n’était pas la seule enfant que la mamie gardait. Il y avait aussi Eliza, la cousine de Rebekah, un peu plus vieille qu’elle de sept ans. Cette dernière, voyant que la petite rouquine ne décolla pas de son banc prit quelques cookies dans une assiette et les apporta à sa cousine. La brunette s’accroupit tout sourire devant elle. « Tu crois que ton lapin aussi a faim ? On pourrait peut-être lui donner un cookie de Granny qu’est-ce que tu en dis ? » Rebekah jeta un œil à son lapin en peluche et hocha timidement la tête. Eliza attrapa un cookie pour le mettre devant la bouche de l’animal en peluche et imita des bruits de crocs. « Oh je crois qu’il aime bien ça ! Il va tout manger ! » La petite fille se mit à rire légèrement. « Tu devrais gouter avant que le glouton finisse tout tu sais. » Un sourire aux lèvres, Rebekah récupéra à son tour un cookie dans l’assiette pour le porter à ses lèvres et croquer dedans. Eliza était fière d’elle et se redressa pour déposer un bisou sur le front de sa cousine. La jeune fille s’installa à côté de Bekah et mangea également un cookie de leur grand-mère. Au fur et à mesure du temps, la jeune Reynolds retrouva son insouciance d’enfant et s’ouvrit davantage pour retrouver sa joie de vivre. Chaque sourire et chaque rire étaient une victoire pour Eliza, Paul et leur grand-mère. Un pas de plus vers un bonheur retrouvé. Rebekah s’attacha à sa cousine comme si elle était sa grande sœur et chaque fois que son père la récupérait en rentrant du travail, elle avait toujours un tas de choses à lui raconter.

« Mais si allez, ça va être marrant ! » Rebekah grimaça, sachant pertinemment que ce n’était pas une bonne idée. En effet, ses amis de l’époque avait planifié depuis des semaines d’aller visiter une maison dite hantée dans un coin reculé de la ville. L’adolescence de treize ans n’avait jamais été très chaude pour faire partie de l’expérience et pour cause, elle était extrêmement sensible à ce genre de chose. Non pas que les événements potentiellement surnaturels lui faisaient peur. Non. Son appréhension était tout autre. « Ça m’dit rien, vraiment. » Il était pourtant déjà trop tard puisqu’elle se trouvait déjà devant ladite demeure. Ses potes avaient eu la brillante idée de lui faire croire qu’ils allaient au cinéma pour qu’elle accepte de sortir. Pourquoi vouloir à tout prix qu’elle soit présente ? Parce que tout le monde connaissait la réputation de sa défunte mère. Elle était une légende urbaine. On disait même qu’elle avait été capable de discuter avec les morts, c’est dire. Rebekah était devenue le radar à esprits à expérimenter. « Oh allez Bekah, ne nous dis pas que tu as peur d’une maison quand même ! » Ria l’un des imbéciles du groupe. « T’es même pas cap d’entrer t’es qu’une trouillarde Reynolds ! » Renchérit un autre adolescent. L’une des amies de la jeune fille lui lança un regard compatissant. « Les écoute pas Reb’, si t’as pas envie, te force pas. » La petite blonde était la seule à aller dans son sens, chose qui lui donna du courage. Après tout, qu’est-ce qu’elle risquait ? Personne n’allait l’attaquer à l’intérieur. Ce n’était pas comme si la maison renfermait un loup-garou ou n’importe quel monstre de série télé. « Bon ok, on y va ! » Lâcha finalement la rouquine après quelques minutes d’hésitation. Elle passa devant et les autres la suivirent illico jusqu’à la porte de la maison. Cependant, au fur et à mesure qu’elle avançait, elle sentit comme une sorte de mauvais pressentiment. La porte d’entrée étant verrouillée, les jeunes adolescents durent faire le tour pour entrer par une fenêtre. L’un après l’autre, ils se faufilèrent à l’intérieur et lorsque que Rebekah posa le pied sur le sol à son tour, un sentiment de malaise la submergea. Croisant fortement ses bras, elle fit quelques pas à l’intérieur alors que les autres se lançaient déjà à la découverte des lieux. Elle se sentit soudainement oppressée, surveillée, épiée. En définitive, elle ne se sentait pas bien et ne souhaitait qu’une seule chose, quitter cet endroit au plus vite. Elle ne se fit pas prier pour rebrousser chemin et courir sans s’arrêter jusqu’à chez elle, loin de cet endroit où la présence dominante en ces lieux n’était pas celle de ses « amis ».

« Alors montre ! Quel déguisement tu as tiré ! » Rebekah haussa un sourcil, à la fois perplexe et amusée. Sur le papier qu’elle venait de tirer dans la casquette de tirage au sort était noté distinctement « costume de chat sexy ». Qui avait eu cette idée de déguisement assez spécial ? Il n’était pas vraiment commun, ou du moins, pas forcément très bien approprié pour une soirée déguisée organisée à l’occasion d’une fête d’anniversaire. L’une des plus proches amies de Rebekah arbora un sourire innocent. Il faut dire qu’elle ne cessait de vanter la beauté et le corps parfait de la rouquine depuis un moment et elle avait évoqué à voix haute que ce genre de costume lui irait à ravir. A seize ans, la jeune Reynolds présentait déjà une plastique agréable à regarder alors au lycée, elle faisait tourner les têtes. Ce n’était pas nouveau. Et puis, cette amie était la mieux placée pour savoir de quoi elle parlait. Elle avait déjà eu l’occasion de coucher avec la rousse. Rebekah n’avait jamais eu aucun souci avec sa bisexualité, elle entreprit même sa toute première expérience sexuelle avec une fille. Cette fille. « Tu as eu une sacrée chance que je tombe dessus. » Lança la médium avec un petit sourire. Après tout, quelle était la probabilité qu’elle tombe sur ce papier en particulier avec qu’il y en avait plusieurs dans la casquette. « Je crois en ma bonne étoile ! Et ça veut donc dire que tu es tombé sur la chatte sexy ? » Rebekah se contenta de plisser les yeux en souriant pour confirmer. « Oh ouais j’ai hâte de voir ça ! » Lança un autre de ses amis avec entrain. La jeune fille n’étant pas le genre à se défiler, c’est vêtue d’un serre-tête avec des oreilles de chat, d’un soutien-gorge à peluche et d’une jupette avec une longue queue féline, le tout en peluche noire qu’elle débarqua à cette fête. L’ensemble accessoirisé de cuissardes en cuir noir et de gants dans la même matière au bout desquels elle avait accroché de fausses griffes sur les doigts. Tous les regards s’étaient posé sur elle. Evidemment. Il faut dire que cette tenue lui allait bien. Même si elle était jugée trop provocante par certains. Au fil des années, Bekah avait pris de l’assurance et se fichait éperdument de ce que pouvaient penser les autres. « Bonsoir joli chaton. » Une voix masculine se fit entendre dans son dos. Une voix agréable. Une voix qui lui fit louper un battement. Ce garçon, elle l’avait déjà vu au lycée. Ce mec était beau comme un dieu. Elle l’avait déjà repéré mais n’avait pas encore eu l’occasion d’aller à sa rencontre. Il faisait partie de l’équipe de basket du lycée et il était doué. Charmeuse, elle pencha légèrement la tête sur le côté en souriant et en lâchant un « miaou » séducteur. La soirée prit une tournure bien plus intéressante soudainement.

« Tu plaisantes ? Dis-moi que tu plaisantes Mateo. » La voix tremblante, elle tentait de la maitriser pour ne pas éclater en sanglots. La tristesse et le désespoir lui nouaient violemment l’estomac. Sa vision devint floue sous l’affluence des larmes qui montaient inexorablement. « Je suis vraiment désolé Chaton, je ne peux rien y faire. » Chaton, un surnom qui était resté entre eux depuis cette fameuse soirée d’anniversaire deux ans en arrière. Ce fameux garçon sur qui elle avait flashé et qui était venu l’aborder à cette fête où elle ne portait que peu de tissu, un déguisement léger de chat. Le fameux basketteur. Après cette soirée, ils avaient passé beaucoup de temps ensemble jusqu’à former un couple. Ils avaient tenu deux années. Deux belles années. Rebekah était bien avec Mateo et le jeune homme aimait sincèrement la demoiselle. Une relation qu’elle avait pensée durable. Elle aurait pu l’être. « Mais, tu ne peux pas rester ? » Lança-t-elle, suppliante, désespérée. Mateo leva les yeux pour retenir ses larmes alors que celles de la jeune Reynolds inondaient déjà ses joues. « Je n’ai pas le choix, j’aimerais rester avec toi, tu le sais ! » Oui, elle le savait. Mais les parents de Mateo devaient déménager, sa mère avait été mutée à des milliers de kilomètres. N’étant pas majeur, il n’avait d’autre choix que de les suivre. Même si ça lui brisait le cœur, à lui aussi. Elle attrapa ses mains pour joindre ses doigts aux siens. « Ne m’abandonne pas toi non plus ! » Dévastée, elle repensait à sa cousine qui avait déjà dû déménager des années auparavant. Ce fut un véritable déchirement. Avant ça, sa mère avait disparu. Sa vie n’était faite que d’une succession d’abandons, elle n’en pouvait plus. « Je t’en supplie Mateo, ne pars pas ! » Elle se jeta dans ses bras pour le serrer fort contre elle. Il passa ses bras autour d’elle et laissa s’échapper quelques larmes à son tour. « Je t’aimerais toujours Chaton. » Ses simples mots suffirent à la faire perdre pied et elle s’effondra, pleurant toutes les larmes de son corps. Une relation à distance était vouée à l’échec. Surtout à leur âge. Le jeune homme ne voulait pas jouer avec son cœur ainsi et préférait la « libérer » pour qu’elle puisse profiter de la vie, au lieu de rester enchainée à quelqu’un qu’elle ne verrait qu’une à deux fois par an. Et ce, même si ça leur brisait le cœur à tous les deux.

« Prends soin de toi et de ta cousine ma chérie, et ne t’en fais pas pour moi, tout ira bien. » A bout de souffle, Rebekah se réveilla en sursaut et se retrouva assise dans son lit. Le visage bienveillant et souriant de sa grand-mère lui apparaissait encore parfaitement en tête. Elle avait l’habitude de faire ce genre de rêve, c’était ainsi depuis toujours, comme sa mère. Les larmes lui montèrent aux joues et dans la panique, elle sortit en trombe de son lit pour se jeter sur son téléphone. Les mains tremblantes, elle chercha le numéro de Granny dans son répertoire et lança l’appel. Elle connaissait la signification de ce genre de présage. Elle savait, au fond d’elle, que sa grand-mère avait fermé les yeux pour toujours. Mais elle refusa d’y croire. Ce n’était pas possible. Cette femme était éternelle. Elle avait toujours été là pour elle. Elles avaient tout vécu ensemble. La disparition de sa mère, le départ d’Eliza, celui de Mateo, la célébration de son permis de conduire et de la fin de sa formation, quand elle devint officiellement masseuse dans un spa de la ville. Chaque anniversaire, elle le fêtait ensemble. Tous les week-ends, elle lui préparait ses fameux cookies. Granny avait été sa seconde mère. « Allô ? » Une voix masculine se fit entendre à l’autre bout du fil. Son cousin. « Granny ? » Bouleversée, elle eut du mal à prononcer plus que ça, les sanglots s’étaient déjà mêlés à sa voix, parce qu’elle savait. A l’instant où elle avait ouvert les yeux, elle avait su. « …Je suis désolé Bekah… » Lui non plus n’avait pas une voix maîtrisée. Et pour cause. Leur grand-mère s’était endormie dans la nuit pour ne plus jamais se réveiller. Elle lâcha son téléphone et se laissa glisser à genoux sur le sol, désemparée, anéantie par la perte de cette femme qu’elle aimait plus que tout. Pourtant, elle devait trouver la force de se relever, d’avancer parce que la vie continuait. La tristesse de cette perte finira par s’estomper, mais l’amour lui est éternel.