Je ne suis pas d'ici. Ce pays n'est pas le mien mais j'ai fini par m'y adapter. Je viens d'un pays bien plus au sud et que tout le monde connait : le Mexique. J'ai eu une enfance très heureuse avec mes frères et mes sœurs, et bien que nous n'étions pas riches, nous étions unis et cela nous suffisait. Dans notre culture l'esprit de famille est très fort. Nous continuons à vivre ensemble et faire prospérer notre héritage.
Mais j'étais aussi tiraillé par le fait qu'on arrêtait pas de me dire que je pouvais faire bien plus dans ma vie que de rester à Tijuana. On m'a vite repéré à l'école. J'étais un petit génie en herbe, j'avais quelque chose de spécial, et une destinée bien particulière.
On me poussa à faire une demande pour une grande école américaine. Je l'ai fait car cela faisait plaisir à ma famille de voir qu'un des leur pouvait réussir et partir vers ce pays qui promettait la prospérité. Ils voulaient juste que je sois heureux.
Quelques mois plus tard, je reçus une réponse favorable, et je partais donc pour une ville qui s'appelle Seattle. J'avais eu droit au Visa et à la somme nécessaire pour effectuer le voyage. On me finançait mes études. Mais il n'y avait pas de billets de retour. C'était ca le problème. C'est le cœur lourd que je partais de Tijuana pour poursuivre ma nouvelle vie.
L'esprit américain est différent de chez moi. Les gens sont beaucoup plus personnels et distants. Celà me perturba. Nous, Mexicain, nous aimons l'art, la joie de vivre, les couleurs, la vie ! C'était ce qui me déstabilisa en premier lieu. Mais rapidement je me fis des amis à l'école où j'étais. Je m'adaptais doucement et mes notes n'étaient clairement pas mauvaises.
Sauf que cette petite vie toute tracée pour moi s'effondra un soir. Vous savez comment sont les fêtes étudiantes ? Et j'étais un ado, je voulais faire comme les autres. Donc je buvais et j'avais rencontré cette fille avec qui il s'est passé quelque chose. Je pensais revoir la demoiselle, pensant qu'on formerait un couple, mais elle ne me donna plus de nouvelles pendant neuf mois.
Puis elle revint avec un cadeau : Un bébé à peine né. Elle me dit que c'était le miens et elle s'en alla. Elle n'en voulait pas. Je me retrouvais donc avec un bébé dans les bras et totalement paniqué. C'est là que j'ai vu mes vrais amis. Beaucoup m'ont laissé tombé, je n'étais plus le petit Mexicain promis à une grande carrière. J'étais juste devenu un pauvre ado avec un bébé à s'occuper. Ils savaient déjà ce qui allait se passer.
J'avais deux choix : abandonner l'enfant et continuer mes études, mais ce n'était pas dans ma nature et cela allait me faire culpabiliser jusqu'à la fin de mes jours, ou tout envoyer bouler, m'occuper de ce petit bout et tant pis pour la gloire et l'argent.
Je fis le second choix. Ce ne fut pas évident : J'avais encore trois ans de Visa et je devais l'utiliser à bon escient avant de trouver un job pour ensuite faire une demande. Mais j'étais aussi seul et avec une petite fille à m'occuper. Pendant ces premières années, j'usais de stratégie. Certains bons amis s'occupait d'elle pendant que je cherchais du travail.
Je pense que j'ai eu beaucoup de chance. Aujourd'hui, je peux enfin dire que j'ai une situation plutôt stable. Un appartement, un boulot fixe, et de quoi pouvoir rendre ma fille heureuse. Le seul bémol ? Ma famille au Mexique pense que je suis prêt à devenir chirurgien à l'hôpital de Seattle. Je n'ai pas pu m'empêcher de mentir mais j'avais ruiné leurs espoirs en l'espace d'une soirée... Je ne pouvais pas leur faire ca.